Dans les mas, toutes les familles les « éduquaient ». Grand-mère achetait la « graine » sur un « pétas », elle la mettait dans un petit sac qu’elle suspendait à son cou, pour la tenir au chaud. Quand ils étaient nés, elle les montait à la « magnanerie », les déposait sur des « claies » et commençait à leur donner de « la feuille ». Mais ils grossissaient très vite, et tous les huit jours, ils « dugaient » pendant 24 h. A la dernière, « la grande frèze », on allait couper le « brus » pour les « encabaner ». Ils « montaient » et tissaient leurs cocons. Quand tous étaient enfermés, il fallait « décoconner ». De grandes charrettes, emportaient la récolte jusqu’à la filature. Les bonnes années, c’était la fête, car l’argent frais rentrait à flot. Le murier était appelé « L’arbre d’or » car la vente des cocons apportait richesse dans la maison.
Ces souvenirs cévenols demandent quelques explications. L’éducation (on ne parle pas d’élevage) des vers à soie (les magnans) a fait la richesse des Cévennes pendant plusieurs siècles. C’est dans la magnanerie, pièce qui occupait tout le dernier étage des mas qu’on les installait. En un mois, ces « insectes », bien nourris avec en exclusivité des feuilles de murier, passent de 1 mm à 9 cm. Ils doivent muer 4 fois car la peau ne peut pas s’adapter à cette croissance exponentielle. Quand ils changent de peau, ils ne mangent plus pendant 24 h et sont inactifs : Ils « duguent ». Après la dernière mue, la « grande frèze », ils se préparent. Ils cherchent un endroit propice au milieu des branches de bruyère (le brus) que le sériciculteur a installé en forme de cabane. Le ver tisse son cocon : 1500 mètres d’un fil très fin et très solide. A l’intérieur du cocon, la chrysalide se forme puis se transformer en papillon. Il faut donc « décoconner », (retirer les cocons) et les porter à la filature avant que le papillon ne sorte en détruisant le fil.
Ainsi allaient les Cévennes, entre l’arbre d’or et l’arbre à pain (le châtaignier). Mais les collines de nos vallées ne sont pas de tout repos. Les « faïsses » soutenues par des murettes, vous savez, « celles qui montent jusqu’au sommet de la colline » n’ont jamais été un jardin d’Eden. Il fallait avoir « l’âme bien née et noueuse comme un pied de vigne » pour survivre dans ces montagnes… « Ils ont quitté un à un le pays »… Bienheureux ceux qui ont su résister à l’appel des sirènes !
(Jean-Marc Garnier – Correspondant de Saint Jean de Valériscle – Article paru dans Midi Libre en juillet 2013)